Faire de la philosophie, la pratiquer, l’enseigner requiert de penser par soi-même.
Or, s’il est facile de déclarer « il est nécessaire de penser par soi-même », y arriver est beaucoup plus difficile qu’il n’y parait. On ne soupçonne pas lorsqu’on s’aventure sur le chemin de cette expérience laborieuse ce que cela représente. Et, il est d’autant plus important d’en prendre la mesure lorsque nous pratiquons la philosophie dans le cadre d’ateliers de philosophie avec les plus jeunes.
Penser par soi-même, c’est accéder à l’autonomie intellectuelle, grâce à de la méthode, pour apprendre à se poser correctement des questions, à se donner intellectuellement les moyens de cheminer vers des réponses. Mais, le chemin vers la liberté d’esprit n’est jamais acquis, il est semé d’embûches: il est difficile, par moment, de prendre du recul par rapport aux préjugés ambiants ou aux opinions enracinées dans notre propre personnalité. C’est pourquoi, penser par soi-même c’est sans doute avant tout faire une introspection sans concession, être capable de faire de sa pensée la matière de son étude. Loin de tout narcissisme, comme le souligne Montaigne, se connaître c’est au contraire cesser de s’adorer, mettre en lumière les visages peu aimables de nous-mêmes.
Or, Boris Cyrulnik montre bien comment celles/ceux qui n’ont pas acquis assez de confiance en eux n’osent pas tenter l’aventure de l’autonomie, cherchant en permanence l’appartenance rassurante à un groupe, quitte à accepter mensonges et manipulations, à chérir le confort de l’embrigadement, à adhérer à une culture totalitaire. Une telle situation procure du bien-être alors que penser par soi-même souvent isole : «Quand un esprit est en déroute, tout cadre le sécurise, surtout s’il est extrême » (Cyrulnik). Triomphe de la doxa.
Voilà sans doute pourquoi il faut avant tout rester vigilant, sans indulgence envers sa pensée, car il est facile de se conformer aux pensées réflexes. Nous sommes tou.te.s faillibles et de possibles « mangeurs de vent ». Vigilants encore plus, lorsque nous pratiquons la philosophie avec les jeunes, car « il est précoce l’âge où on est avide de manger du vent ».
Le sommeil de la raison produit des monstres · Francisco de Goya
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