L’autre jour, j’observais, dans un café, une jeune femme en train de lire, littéralement absorbée par son bouquin. Si j’ai pensé à l’ouvrage de Laure Adler, « les femmes qui lisent sont dangereuses », je me suis demandé, plus largement, d’où provient ce désir ardent de lire, de s’emparer d’un ouvrage et d’y plonger tout entier.e.
Est-ce pour échapper au chagrin trop écrasant, aux amours qui s’effilochent, aux trajets dans des trains bondés, aux professeurs humiliants, aux dimanches sans fin, à l’ennui ravageur ? Lire protège des portes qui claquent, des mots dits trop fort, des diners convenus, de l’esprit de sérieux. On lit pour s’oublier, s’enfuir dans les mots des autres, disparaitre dans d’autres vies, effacer ses propres contours, le livre, c’est se projeter dans l’autre, fuir les aléas de sa vie, y trouver du sens, plus tard, ailleurs.
Que se passe-t-il alors lorsque lire devient impossible alors même que les livres sont concrètement disponibles ? Comment faire quand les ouvrages deviennent, pour le lecteur, inaccessibles, comme sous scellés ? Nous vivons parfois des épreuves qui engloutissent avec elle le sens que font les mots quand ils s’assemblent. Les mots flottent comme des poussières dans l’air et l’on ne peut se raccrocher à aucun livre, flottant nous aussi dans un univers étrange en-deçà du langage. A la douleur vécue, s’ajoute celle de perdre son refuge.
J’ai récemment lu un article qui disait que, depuis le début de la crise sanitaire, certaines personnes, notamment les jeunes, sont dans l’incapacité à lire pour le plaisir ce qui constitue pour eux une véritable souffrance. Michel de Certeau décrit bien comment le livre n’est jamais en fait que la construction de la personne qui le lit. La lectio, l’opération faite sur le livre, est cette production propre qu’entreprend toute personne qui s’empare d’un texte.
J’aime penser que, même rangés sur les étagères d’une bibliothèque ou entre les mains de proches et d’inconnus, les livres, en compagnons silencieux, veillent sur nous, bienveillants, attendant que l’on retrouve l’envie ravageuse de nous projeter dans l’autre mais aussi de créer du sens avec lui.
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