En réfléchissant sur la notion d’instant présent, la difficulté de saisir cet instant et de le vivre, force a été de constater qu’il est pourtant devenu une idéologie qui a envahi nos manières de voir le monde. Invitation permanente à vivre des moments magiques, inoubliables (mariages ultra-organisés, mises en scène face à des paysages sublimes etc.), injonction à « vivre l’instant présent », spots publicitaires qui martèlent : « savourez l’instant ».
Pour être réussie une vie devrait-elle être une succession d’instants somptueux ? A trop vouloir trouver le bonheur dans des moments plus extraordinaires les uns que les autres, n’est-on pas condamnés à ne jamais l’y trouver ? Comment faire quand cet instant présent n’a rien de sublime, qu’il est ordinaire ou qu’il est ce moment tragique où tout bascule, où l’obscurité s’invite dans nos vie soudainement ?
Comment, à ce moment-là, savourer l’instant, quand la tristesse, la douleur ou l’angoisse jaillissent, imprévisibles, au cœur d’une journée banale ? Quand on sait que, depuis cet instant précis, « rien ne sera plus comme avant » – irréversibilité – comment l’appréhender ?
Nos environnements, et les images qu’ils véhiculent, ne nous équipent pas pour vivre ces instants tourmentés, tant et si bien que nous l’avons presque oublié tout affairés que nous sommes à programmer nos instants magiques.
S’il est bien évidemment difficile de savourer un instant cruel et déchirant, oser le traverser, le vivre en pleine conscience, s’en emparer activement, permet sans doute qu’il se transforme – aussi douloureux soit-il – en un temps propice plutôt qu’il ne se fige en amertume. Se manifeste alors notre profonde liberté alors même que nous pensions être foudroyés par le mauvais œil : « le temps est irréversible de la même manière que l’homme est libre : essentiellement et totalement » (Jankélévitch).
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